E. du Perron
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Pedro Creixams

Monte Brè, 22 augustus 1924

M. Brè, 22 Août

Mon vieux Creixams,

Je suis bien content d'avoir enfin de tes nouvelles; je te croyais très fâché et que tu ne me trouvais plus digne d'une réponse. Si je me suis tu longtemps, mon cher vieux, il ne faut pas m'en vouloir; d'abord j'ai été en voyage avec mes parents (tu te souviens que je t'ai envoyé une ou deux cartes), puis rentré à Bruxelles j'ai trouvé tellement à faire que je n'ai pas eu le loisir d'écrire une lettre un peu longue; car si tu as été flemmard, mais j'ai assez travaillé les derniers temps. On a publié à Anvers cette histoire que je t'ai traduite un jour et que tu ne trouvais pas trop mal, mais dont tu condamnais avec impatience les ‘images’ (de mon ami Duboux); on est en train de publier des poésies - ou plutôt: un carnet de voyage poétique, qu'a illustré Jozef Peeters, sans doute le premier ‘constructiviste’ des Flanders - quand tu seras de nouveau à Bruxelles on pourrait le voir un jour à Anvers; c'est un bon copain. J'ai fait ici même un récit qui s'appelle Claudia et que tu vas illustrer, si tu veux bien. (J'aimerais des illustrations un peu dans le genre de celles que tu as faites pour Marcel Sauvage). Je quitterai ce Monte Brè probablement le 17 Septembre et serai vers le 21 ou 22 à Paris, où je pourrais rester peut-être quelques jours. Tu auras donc le temps (et la bonne volonté?) de faire trois ou quatre illustrations? - déjà j'ai mis ton nom sur la page de titre! ne m'abandonnes donc pas! - L'histoire de Malraux est en effet excessivement ennuyeuse, et tu as raison: ce qu'il y a de plus exaspérant là-dedans, c'est peut-être ce petit air supérieur que prennent certains cons (comme tu dis fort bien) de piètres journalistes. Et puis le côté dit ‘moral’ de l'affaire nous échappe parfaitement. Il faut être un assis, pour savourer cela. - J'ai reçu une lettre de Pia, trois jours avant la tienne; je l'aime beaucoup, c'est un garçon doué d'une intelligence de 1er ordre et je suis bien embêté qu'il doit passer ses jours dans un hôpital militaire. Ce petit croquis que tu as fait de lui est épatant, surtout la bouche est tout à fait ‘tapée’, quant à ta femme accroupie entre Murri et un chat, elle m'a donné des frissons! (Je préfère l'autre qui a tatoué le mot ‘Algérie’ sur son mont de Vénus.) Alors, mon vieux Pedro, tout va bien pour vous deux, alors tant mieux! - il ne faut pas t'imaginer que mon amitié pour toi ait en rien diminué; tu sais que je ne te souhaite que le plus grand bien, et de tout coeur. En ce moment je m'ennuie assez dans ce Kurhaus qui est plein d'allemands; je joue parfois aux échecs avec des dames très laides. Des affreuses. Des hideuses. Des très-hideuses. Heureusement que j'ai, comme toujours, quelque amour, quoique lointaine pour le moment, qui me console (en attendant la désolation inévitable). Allons, mon vieux, bon courage! Ecris-moi encore ici; je te répondrai aussitôt. Toutes les amitiés à ta femme et toi de votre

Eddy.

Origineel: particuliere collectie

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