E. du Perron
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Julia Duboux

Pallanza, 18 december 1924

Je pars peut-être demain, ou après- demain, dès que l'argent sera là.
(Vers San Remo.)

Pallanza, 18 Décembre.

My Lady Sweet,

Vous n'avez pas idée de combien on s'embête ici; c'est pire que la banlieu en hiver. J'ai écrit, péniblement, je me suis littéralement débarassé de, Une parmi Cing. Jeu de cartes et lettre; lettre à Willink, qui en sera l'illustrateur. Dans la lettre - d'abord intentionnée comme genre d'introduction, préface - j'ai donné des détails personnels, des idées sur l'art, la vie, le reste, qui depuis quelques temps me trottent par la tête. Dans l'histoire une rigueur indifférente et mathématique - (mais tout me paraît quasi.) Seulement, comme l'histoire ne m'intéressait que fort peu, elle diminue graduellement, on sent l'intérêt de l'auteur qui s'en va, tandis que la lettre grandit et que l'on y sent l'intérêt de l'homme qui se regarde vivre. Où l'on devrait sentir, si on était intelligent. Enfin, la main sur le coeur: c'est très mauvais. Il me faut plus que de l'indifférence, un certain mépris du public - et peut-être de moi - pour publier cela. Pourtant il sera publié et tel qu'il se présente en ce moment, si Willink consent à ce que son nom soit publié. Au fond, pour lui, quel réclame (de toute façon). Je suis presque sûr qu'il marchera.

Je compte écrire bientôt quelque chose de bien bien mieux. De très sentimental peut-être. Pourquoi pas? (puis-qu'on est à se le demander à propos de tout.)

J'ai, ce soir, longuement regardé le portrait de ma fiancée, et très sentimentalement. Ma fiancée qui s'imagine parfois que je ne l'aime que peu? Dans quelque temps je verrai clair dans ma situation, mais en quelques mots déjà j'ose l'expliquer - ainsi: Je traverse une periode mentale difficile, sans savoir où je vais - ou est-ce un retour? - vous y êtes étrangère simplement parce que vous n'êtes pas là, mais ce que je sens pour vous est hors d'atteinte. Peut-être parce que cela se trouve tellement au fond de moi, ce que vous sembliez trouver ridicule. Soit; continuez de m'aimer, si vous voulez. Je ne suis quand même, peut-être, pas tout à fait indigne de votre amour. Ne vous tourmentez pas, surtout; tout s'arrangera pour le mieux, vous verrez, dès qu'on sera vraiment ensemble. (‘Vraîment’, - comme si on l'avait jamais été.)

Quand nous serons mariés, j'écrirai un roman. Je l'ai décidé ce soir. Vous ne l'aimerez probablement pas, mais cela ne fait rien, je l'écrirai quand même un peu pour vous. En essayant d'y mettre du mien, davantage que dans ce que j'ai fait jusqu'à présent peut-être (témoin mon dernier produit avec ses influences Aragon-Cocteau-Larbaud.)

Quand nous serons mariés je vous dédicacerai tous les livres qui feront votre bibliothèque - bien entendu s'ils viennent de moi -: À Julia parce qu'elle est jolie. À Julia parce qu'elle sait être gaie. Parce qu'elle est inquiète. Parce qu'elle est intelligente. Parce qu'elle sait bien faire le thé; - tout cela dépendant du caractère du livre.

Quand nous serons mariés nous serons souvent ensemble. Quand nous serons mariés nous nous aimerons beaucoup. Quand nous serons mariés ma mère sera contente. Quand nous serons mariés nous aurons peut-être beaucoup d'enfants. Quand nous serons mariés....

C'est comique et sentimental, doux et gai. Ne vous tourmentez pas. Aimez-moi simplement. Ainsi je vous aime, Ma Dame chérie. Et je suis votre

Eddy

Origineel: Den Haag, Letterkundig Museum

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