E. du Perron
aan
Evelyn Blackett

Gistoux, 22 oktober 1929

Gistoux, lundi 22-10.29.

Mademoiselle,

Voici, en réponse de votre lettre:

1. J'ai publié un recueil de vers et un autre recueil de contes et j'ai sous presse un autre recueil de contes, mais le tout en hollandais; ce qui veut dire que je vous les enverrais avec plaisir, mais que je crains que ce ne sera pour vous un peu mystérieux, vu la langue. (Toutefois, si vous les voulez, dites‘ le moi.)

2. Les Hollandais, et surtout les poètes, n'écrivent pas en français, avec l'exception du seul Slauerhoff - dont vous avez pu voir le portrait, dans le même no. de Variétés où vous avez trouvé mes historiettes, en costume chinois. C'est peut-être bien le plus curieux de tous les jeunes poètes hollandais, du reste, et certainement le plus vivant. Il a été pendant à peu près quatre ans médécin à bord, ce qui a fait qu'il a été un peu partout; avec cela un drôle de caractère et véritablement ‘un grand inquiet’. Je vous ferai envoyer le seul petit recueil qu'il a publié en français et qui n'a été imprimé qu'en 75 exemplaires; ce sera donc deux fois une ‘petite curiosité’. A part cela, il vous faudra vous résigner au mystère, ce qui est tout de même dommage parce que la Hollande - à l'encontre de ce qu'on pourrait en penser - a, depuis 1880, une poésie superbe. (La prose, par contre, est bien malade!)

Il n'existe pas une anthologie de poésies hollandaises traduites en français, quoiqu'on en parle depuis longtemps. D'ailleurs, vous savez, ce que vaut, en général, une poésie traduite. Il y a un Allemand qui prépare une traduction en vers de quelques poètes hollandais, et on dit que c'est très bien; mais son livre n'a pas encore paru. Il y a une autre anthologie de ce genre en italien, des poésies de 1880 à 1900 environ, traduites par Giacomo Prampolini, de Milan, mais la traduction, quoique belle, est en prose et je doute fort que, même si vous lisiez l'italien, cette traduction vous intéresse beaucoup,

Mon cas est un peu exceptionel parce que je suis né - d'une famille beaucoup plus française que hollandaise - à Java, ce qui fait que j'ai appris le hollandais bien mieux que le français et que j'écris cette dernière langue assez correctement, peut-être, mais comme un étranger. Ceci vous explique pourquoi je suis ‘poète hollandais’. Je ferai peut-être traduire quelques-uns de mes contes en français, mais c'est un travail ingrat et désagréable et je me rends compte souvent que ma vanité, même littéraire, n'est pas très grande.

Vous voilà, Mademoiselle, tant soit peu édifiée. Si vous m'écrivez encore, dites-moi ce que vous faites, parlez-moi un peu de la jeune poésie anglaise, que je connais fort mal, et même envoyez-moi de vos poésies ou de votre prose. Vous pouvez, si vous le préférez, m'écrire directement en anglais. Mettons que c'est la chose que vous pouvez faire pour moi de votre côté ... Dites-moi aussi ce que vous préférez dans la littérature française contemporaine.

Agréez, Mademoiselle, mes meilleures salutations.

EduPerron

Origineel: Den Haag, Letterkundig Museum

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