E. du Perron
aan
F. Hellens
Gistoux, 17 april 1928
Gistoux, mardi
(Château de Gistoux Chaumont-Gistoux) pour préciser.
Mon cher Hellens,
Me voilà depuis 3 jours à Gistoux où je laisse pousser ma barbe et où - je ne sais pourquoi - je me suis rejeté en pleine antiquité: Job, Le Satyricon et Du Bellay à la fois! A propos de Satyricon, tu devrais m'envoyer ton exemplaire de ce bouquin, car tu as, je crois, la traduction de Tailhade, tandis que moi, ici, je dois me contenter de l'ouvrage d'un pion - honorable peut-être, à ton avis, puisqu'il a été imprimé dans la collection Budé344? N'importe, je préfère ce vieux gueulard de Tailhade; lors, sois gentil et envoie-moi ce bouquin. Donne-moi aussi - je veux dire surtout, des nouvelles de ta rougeole; je serais heureux de te savoir débarrassé de ça! Comme quoi on ne peut jamais être trop prudent quand on a un père - soit dit pour M. Choura (tu excuseras mes fautes d'orthographe, surtout en langue russe345). Non, mais blague à part, dis-moi que tu vas tout à fait bien et que tu ne fais plus dire à Mme Doff346 (ma reine ou marraine) que les hommes - ah! les hommes! supportent bien mal la Maladie. Veux-tu qu'en échange du Satyricon je t'envoie les Pensées et Entretiens d'Epictète, cette espèce de type qui supportait tous les maux sans broncher, pour, disait-il, ‘en tirer profit’? Tu verras, avec Epictète, tu ne feras qu'une bouchée de ta rougeole - je veux dire: tu n'aurais fait que - car je suppose malgré tout qu'elle doit être depuis longtemps avalée, digérée, perdue... (pour le dire bien).
Bon, écris-moi un mot pour me tranquilliser. As-tu reçu des nouvelles de Malraux? De Grasset? Moi j'ai dû le renseigner (Malraux, pas Grasset) des prix des paquebots partant au Congo. Il a toujours l'intention de FOUTRE LE CAMP (les capitales sont de lui) et pourtant, pourtant, la belle série qu'il va diriger à la N.R.F.347! M. Racine par M. Giraudoux, M. Montaigne par M. Gide; rien que pour commencer: bref, des écrivains - des grands écrivains français morts dirigés par des grands écrivains français vivants, et Malraux dirigeant - tout simplement, comme ça, les vivants, si écrivains et si grands soient-ils! - ‘Ah! (comme m'a dit quelqu'un) ce monsieur-là ne doit pas être le premier-venu’. - Quant à Pia: ça va, paraît-il, assez mal. Sa femme a été malade, lui est très fatigué et découragé. Et évidemment, il n'écrit pas. Tu devrais aller le voir, quand tu seras à Paris, et me donner tes impressions. Quand pars-tu?
Cela dépend de la rougeole, évidemment? Il n'y a pas à dire: il faut la semer - hardiment (comme tu dis) quand tu mets le courteau dans un roman.
Écris-moi bientôt; l'antiquité c'est très bien et Gistoux aussi, mais tout de même...
Mes amitiés à ta femme, la main de ton
EdP.
P.S. - Si tu partais bientôt à Paris, n'oublie pas de m'y acheter le fameux Iango (ou Fado) des Passinheros (?) - (tu excuseras encore mes fautes d'orthographe en langue portugaise.) Merci d'avance! Tu as bien les amitiés du poète Roland-Holst qui va mieux, mais se trouve toujours à l'hôpital à Hilversum.