E. du Perron
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O.-J. Périer
Gistoux, 5 juli 1926
De Gistoux, près Wâvre (Brabant-Wallon)135
Mon cher Périer,
Je me trompe probablement mais il me semble - aujourd'hui, lundi 5 juillet (je pense) 'XXVI, 9 heures du matin - que je vous dois une suite à ma lettre concernant les anges. Maintenant, j'ai lu tout. Si j'ai pu croire un instant que vos anges allaient s'amuser - et nous amuser - vous m'avez, l'auteur m'a, terriblement détrompé. Quelle histoire navrante d'anges déchus - déchus tellement plus lamentablement que ceux de l'Apocalypse, tellement moins glorieusement! si c'était là pour vous un jeu?... Quelques lecteurs ‘intelligent’, qui auront tout compris diront: ‘Périer a ecrit une satyre contre des jeunes gens qui se croient différents du reste’. (Votre explication des pages 157-158 ne vous épargnera pas ce louange.)
Tandis que vos amis n'ont qu'à se résigner, qu'à vous citer en choeur: ‘Notre histoire est noble et tragique’... Enfin, ils sont désespérants mais en somme aimables, vos anges; Alpha aussi, malgré sa supériorité. Du reste, je n'y crois pas. Si Alpha s'est envolé, je vous assure qu'il n'est pas allé trés loin.* Déjà il était devenu ‘trop de ce monde’. Le seul en qui, en tant qu'ange, j'ai foi, est Jacques Durand. Si vous écriviez ses aventures - en manière de ‘suite’; au fond, vous nous devez cela.
Quand on a lu tout le livre il n'est plus étonnant. Il est parfois excellent, me semble-t-il, j'aime en particulier Les Rois Mages (presque uniquement pour Jacques Durand), Alpha Equilibriste (là il y a une phrase magnifique que je vous demanderai la permission de citer: ‘Je ne découvre rien qui vaille la peine de s'y engager’ - phrase que Michel et Misère tourneront contre Alpha un jour, si jamais ils se retrouvent, phrase qui les excuse, Michel et Misère, qu'Alpha le veuille ou non), puis, je dirais ‘évidemment’, Dans un Fauteuil. Cela aurait pu s'appeler: Alpha corrompu. Car enfin, il a beau mépriser le public davantage que ce vieux gaga et trouver le vieux gaga estimable comparé au public, le fait qu'il accepte cette comparaison-là l'accuse. Si en ce moment, souriant toujours, mais pour de bon dégoûté, il aurait pris son vol... mais ce clin d'oeil, si intelligent soit il, le vend. Il continue à jouer, comme le tém oigne le chap, suivant, mais ce n'est plus, dirait Jarry, qu'avec de la plus pure merdre. (Mais - eh, la merdre netait pas mauvaise!... évidemment).
Périer, (mon cher auteur!) soyez bientôt gai, suffisamment pour cesser d'être cruel, ne regardez, s'il le faut, ni vous ni ‘quelques personnes que vous aimez’, et faites de Jacques Durand un ange impeccable.
Je vous remercie pourtant sincèrement pour ces anges-ci, ces ‘vrais anges’. Parce que Alpha est le plus divertissant je ne vous reproche même pas votre partialité en faveur d'Alpha. Je vous dédie le dessin en haut de cette lettre; ne riez pas: Alpha, plus tard, a porté des moustaches, pour accuser une certaine ressemblance avec Arsène Lupin; Michel, comme vous avez dit, est devenu beaucoup plus gros et les sacs sous ses yeux sont devenus plus ronds; Misère, dès qu'il fréquentait le café des littérateurs, portait des lunettes Windsor (plus tard il ne pouvait pas perdre cette habitude). - M'enverrez vous le portrait de Barnabooth?
Je vous serre la main
EduP.