E. du Perron
aan
C. Wolfers-Petrucci

Brussel, 12 maart 1925

Brux. 12-3-25

Chère Clairette,

Ne m'en veuillez pas si je ne vous ai répondu plus tôt. Je suis rentré depuis quelque temps, il est vrai, mais votre lettre - qui était venue deux jours après mon départ à l'hôtel où j'étais à Nice - m'a suivi en Corse, d'où je me suis enfui peu de jours après y être arrivé. Bref, quand je rentrais à Bruxelles votre lettre sommeillait encore tranquillement au bureau de poste à Ajaccio. Ce n'est qu'environ trois semaines plus tard que je la recevais ici, et quoique, même alors, je ne vous aie pas immédiatement répondu, vous ne seriez pas tout à fait trop bonne de m'excuser, vu que Bruxelles - ou février à Bruxelles - n'a guère tardé à m' ‘influencer’ comme d'habitude, et qu' à l'heure qu'il est, je viens de me rétablir après une grippe assez tenace. Qui d'ailleurs était admirable à faire passer le temps.

Pour reprendre notre projet - de collaboration: je n'ai plus rien écrit depuis mon retour, je n'ai donc pas le texte à vous présenter. Je l'écrirai sans doute un jour, si l'ON me prête vie. Alors je vous avertirai sans faute et, si vous n'aurez pas changé d'idée, vous vous mettrez, à votre tour, à l'oeuvre. Je vous remercie beaucoup, en tout cas, de bien avoir voulu me promettre votre.... que faut-il dire? assistance? concours? grâce?

Je vous remercie aussi pour votre bonne idée de me faire connaître une ‘jeune femme suisse très gentille et sympathique’. Qu'appelezvous jeune, Clairette? je veux dire: en pareil cas? Et cette gentillesse, en quoi consiste-t-elle? je veux dire: aimeriez-vous me présenter à une femme-à-aimer, ou à une femme-à-conversations? Prévenezmoi, je vous prie: dois-je avoir l'air bon, ou plutôt intelligent? Ou indifférent, ce qui, paraît-il, est autrement recommandable. Si j'accepte, je compte sur vous pour diriger mes maladresses; peut-être, qui sait, pour en tirer du charme.

Comment va votre maman? Il faut absolument que j'aille la voir, un de ces jours. Malheureusement le vent me repousse souvent - si ce n'est la grêle ou quelqu'autre horreur - dès que j'ose mettre les pieds dans la rue. Mais de toute façon j'irai voir, et bientôt, si je la trouve chez elle.

Je saute une ligne: pour prouver que j'ai longtemps pensé. Sans trouver quoi que ce soit, s'entend; sinon, je ne penserais pas. C'est extra ordinaire comme j'éprouve de la difficulté à écrire - ajoutez à cela que je ne sais vraiment trop que vous raconter. Tout va bien, sauf le temps, qui malheureusement est pour beaucoup dans le tout. Dans le mien, en tout cas! Je n'ose pas vous demander si vous lisez, vous pourriez dire oui. Moi j'arrive - par un effort de volonté? - à détester de plus en plus les livres. Cela s'appelle: démolition de ma chimère (voir Le Spleen de Paris, quelque part au commencement). Et, figurez-vous, depuis ma rentrée je ne me suis pas découvert des envies de voyager.

Comment allez-vous?

Veuillez déposer mes respects dans le berceau de Janine et me croire bien votre

Eddy

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