Jacob Israël de Haan

IN het Brusselsche dagblad ‘Aurore’ schreef G. Schelstraete de volgende fraaie kenschetsing van onzen onvergetelijken Jacob Israël de Haan, die wij onvertaald hier afdrukken, opdat de fijne typeering ongeschonden blijve.

 

‘Nous ne savons plus ce que c'est qu'un poète meurtri. Cet homme l'était. Dans des poèmes étriqués par la douleur que l'artiste y tient enclose, ou, tout au contraire, longuement résonnants comme les jérémiades, ce juif, cet européen raffiné parle de la misère d'être trop riche de coeur dans un monde trop pauvre en beauté.

A une époque où son milieu - il était hollandais, après tout - se complaisait trop souvent encore dans les fadeurs et le toc de l'esthétisme, il ne sut jamais céder aux charmes romantiques. En 1910 on percevait en Hollande de ces fades relents qui arrivaient parfois jusqu'au pays du grand et frais Gezelle.

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De Haan est un homme de douleur. Non qu'il souffrit plus que les autres malheureux de ce monde, mais parce qu'il creusait toujours davantage le gouffre de

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sa vie passionnée et parce que la vie exaspérait sa sensibilité.

Il a le ton de sa race, celle des prophètes et celle de l'humour. Chez lui l'amertume et la douceur de pleurer se confondent; sa douleur a de l'humour. Comme il y a de l'humour dans le protestantisme de Gide, il y a une douceur extrême et un charme pervers dans l'humour de ce fils d'Israël.

Il chante l'âme errante et insatisfaite des Juifs, dans ce quatrain dépouillé:

 
Die te Amsterdam vaak zei: ‘Jeruzalem’
 
En naar Jeruzalem gedreven kwam,
 
Hij zegt met een mijmrende stem:
 
‘Amsterdam, Amsterdam’.

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Ce poète chercha comme tant d'autres à se réfugier dans la consolante beauté. Mais qu'appelait-il beauté? Ce n'était pas cette nostalgie spirituelle: c'était plutôt les morbides langueurs de la chair, et l'attrait d'un fruit défendu que tour à tour il maudissait ou couronnait de poésie décadente.

Point de douceur pour cette âme dont les désirs dépassaient les jouissances. Et il ne savait se détacher des douceurs et des joies passées. Il pleura toujours son enfance et ne put chasser les remords qui le tenaillaient. Il est le poète des beautés perdues.

La chair est triste, hélas ... et De Haan, tout comme Musset, Baudelaire et tous les grands sensuels connut l'amertune de la chair et ne cessa d'en sonder le vide affreux. Les choses qu'il aimait, il les considéra avec les yeux de la chair et c'est au coeur de sa prison charnelle qu'il crut découvrir Dieu. Mais c'était encore un dieu de chair dont à la fois il redoutait la justice et dont il se moqua en brandissant les sophismes de notre époque.

 

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La vie de Jacob Israël De Haan se détache dans cette Hollande quiète, bourgeoise et convenable. Il était si peu hollandais, si peu ce que sont les autres. Il n'eut pas su produire un véritable chef-d'oeuvre, car les raffinements et l'éclectisme de cet européen avaient tué en lui le poète, et c'est l'homme qu'on aime dans la rigueur des quatrains autant que dans ses vers qui s'étendent avec cette langueur pernicieuse qui le rapproche de Wilde ou avec l'amertune des pénitents d'Israël.