E. du Perron
aan
Pedro Creixams

Brussel, [februari 1925]

Mon cher Pedro,

Voici la carte que je venais de t'écrire quand ta lettre m'est arrivé. Qu'y ajouter dans un délai si bref? Que je ne suis pas une vache et que je ne te prends point pour un ami occasionnel? Mais diable, tu le sais mieux que moi, je suppose. En tout cas, si tu as besoin d'une ‘preuve’, la voici. Du reste, je soutiens que c'est moi qui t'ai écrit les dernières fois, de Pallanza et de Nice, si je ne me trompe. Tu n'as donc rien à me reprocher si ce n'est mon passage rapide à Paris et pour ce qui concerne mon amitié pour toi, qui est simple et sincère, tu peux dormir tranquillement. Je vais donc faire commander le no. 3 de l'Art Vivant pour y trouver ton portrait et pour y chercher un détail aussi rejouissant que celui qui se trouve, à la hauteur de ta cravate, sur le portrait que tu m'envoies sur le billet-de-faire-part de ton exposition. Je regrette de ne pas être à Paris pour y voir ‘Creixams à travers les ages’; mais je regarderai avec un intérêt renouvelé ses oeuvres qui se trouvent dans mon humble repaire, - entre parenthèses, dis-moi si tu as toujours besoin d'une photo de mon portrait, puisqu'en ce cas j'en ferai faire une sans plus tarder.

J'ai des nouvelles de Pia de qui, comme tu dois le savoir, j'ai reçu une carte un de ces jours; mais que devient Daura? Il y a longtemps que je n'ai même pas entendu parler de lui, quoique je tiens de Pia qu'il t'a accompagné à Rouen. Comment va-t-il; est-ce qu'il arrive à se débrouiller, e.a. avec l'éditeur Mornay et le livre ‘espagnol’? J'aimerais voir bientôt le bouquin illustré par lui. Et tes eaux-fortes pour le Baudelaire?

Moi, dès mon retour, je me suis mis à travailler; j'ai été hier à Anvers où l'on m'a demandé de collaborer à une revue qui paraîtra bientôt, (pour disparaître avant un an, s'entend). J'y ai vu une espèce de grand-homme, poète d'avant-garde réputé en Flandres, le Nestor des jeunes, un type qui raconte partout qu'il n'aime pas se faire des amis, et qui se croit sérieusement chef-d-'école (l'Apollinaire de ces contrées, quoi.) Il paraît qu'il a été très ‘gentil’ envers moi; peut-être parce que je ne suis pas Anversois? C'est amusant à voir comment ces flamands se détestent et pourtant se soutiennent entre eux. Mon ami hollandais, le peintre Willink que tu as vu à Paris, et moi, nous sommes considérés comme des beaux-parleurs agréables et nuls, peut-être parce que nous éprouvons moins de difficulté à nous exprimer dans un néerlandais à peu près pur.

J'ai terminé deux histoires et, comme j'ai dit, je n'attends que tes illustrations pour envoyer la première à l'imprimeur. J'ai fait la traduction française d'Agathe que Pia m'a demandé, mais j'hésite à l'envoyer; dans mon français défectueux, et sans les excuses que je pourrais y ajouter par un geste, une remarque, si j'étais là, ça a vraiment l'air trop bête et brutal. Attendez donc que je sois à Paris et un bel après-midi quand on sera trois, ou quatre avec Mourri, je vous traduirai ces XVI cochonneries de vive voix; ceci me réserve d'ailleurs le plaisir de vous voir vous pourlécher les babines ou de vous entendre rire. Tu diras donc à Pia d'avoir patience. Veux-tu lui dire aussi que j'ai reçu les 2 deux livres (Paludes et Détours) qu'il m'avait envoyés à Nice? Voilà, mon bon vieux, j'espère que j'ai fait pénitence si j'ai péché et que tu ne crieras plus avant.

Encore une fois la patte.

Affectueusement ton

E.

Comment va Bonnel? Fais-lui mes compliments.

Diable, ton beau papier! on voit que tu deviens tout à fait rupin; tu as même changé d'écriture: elle est devenue princière! Et tu as un superbe appareil photographique, à ce qu'il paraît? Envoies-moi les photos que tu croiras susceptibles de m'intéresser!

Origineel: particuliere collectie

vorige | volgende in deze correspondentie
vorige | volgende in alle correspondentie