E. du Perron
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Pedro Creixams
Brussel, 27 juni 1923
Bruxelles, 27 Juin '23.
(le matin)
Cher Pedro,
Tiens, voilà, je t'écris immédiatement après lecture de ta lettre, lecture qui m'a fait bien rigoler: ta description de Phèdre est épatante. C'est dans mon lit que j'ai reçue ta lettre et c'est dans mon lit que je t'écris, grâce à mon stylo qui ne se trouve jamais très loin de moi - tu sais que les anciens preux aussi avaient toujours leur épée non loin de la main. - Tu m'as dit: Tu vas m'écrire d'abord et puis je vais t'écrire et puis tu écriras encore et puis moi j'écrirai encore, etc. - il faut que j'obéisse, seigneur! voici déjà une nouvelle lettre. Mais n'oublies pas maintenant quand tu me répondras, de me donner ton adresse en Normandie, sinon je t'enverrai une malédiction qui seras plus dangereuse pour toi que trois bouteilles de Bordeaux blanc! - Moi aussi je travaille, et ce qui est pire: je suis même content de mon travail; rien de plus désespérant! Pour le reste je suis toujours isolé; je n'ai pas eu une conversation ‘intellectuelle’ après mon retour, je crains diablement de m'encroûter ainsi, mais d'autre part je veux assayer de trouver tout l'intérêt dont un homme a besoin entre les murs de ma maisonnette, cela vaut mieux que de courir après des trous de cul en forme d'étoile ou de pleine lune et qui finissent tous par être emmerdant quand on s'en approche trop. J'ai eu quelques ‘amis’ ici qui me dégoûtent déjà passablement; tu me donneras raison quand je te dis que je ne les retrouverai pas. Allons, vieux Pedro, viens vite m'égayer ici avec tes histoires, tes espoirs et déboires artistiques et humains, toi, je t'aime bien, tu ne dissimules pas ta pensée et tu fais un effort sérieux sans trop te compliquer. Moi, hélas, je le suis déjà trop: compliqué. J'ai des idéals naïfs de vouloir arriver là, où je sais que je n'arriverai pas, et sachant cela je me trouve la faculté de me regarder faire et de me trouver ridicule. Je me console en me disant que ces états d'esprit sont très vingtième siècle. Mais c'est une piètre consolation! - Eh, dis donc, je ne te barbe pas? Mais oui, mais..... sans aucun doute! par conséquent: la ferme!
Voilà, cher vieux, je te laisse. Me dire que tu travailles c'est me faire grand plaisir. J'espère que la santé aussi va bien et restera bien pendant le voyage. Je te serre cordialement la main, ainsi qu'à Madeleine, et reste toujours
ton bien dévoué
Eddy du Perron
P.S. - Et écris-moi plus longuement, veux-tu?
Origineel: particuliere collectie