E. du Perron
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C.E.A. Petrucci
Brussel, 21 februari 1923
Brux. 21 février
Ma chère Clairette,
Suis-je bien vaniteux quand je vous dis que je vous écris pour vous rassurer? Votre carte vient d'arriver. Ne soyez pas inquiète non plus, vous, je suis rentré depuis 2 jours, je suis très bien portant, il paraît que j'ai grossi, je suis un peu bruni par le soleil d'Espagne et j'ai perdu jusqu'à la trace des petits animaux qui m'ont parfois tenu compagnie au lit, là-bas, - en Espagne!
Nous ne sommes pas allé bien loin, vous savez, nous n'avons pas quitté la province basque de Guipuzcoa, tout contre la France. Irun, Fontarabie, San Sebastien, Pasajes, Hernani, Tolosa, vous verrez que sur la carte c'est toujours tout près de la frontière frçse. Cela s'appelle tout de même avec pompe: Voyage en Espagne.
J'étais trop indifférent pour continuer et l'Espagne m'a semblé trop sympathique pour y promener plus loin mon humeur actuelle. Je m'ennuyais et avais en même temps le vif sentiment que je n'avais pas le droit de m'ennuyer. C'est à peu près cela, je crois. Enfin - le croiriez-vous? - j'ai pensé à ma mère. Et aussi - à cette distance de vous - j'ai vu combien j'étais ridicule. Je regrette vraiment, Clairetty, de tout mon coeur la lettre idiote que je vous ai écrite de Paris et mon allure tragicomique en votre présence. Je me garderais bien de recommencer; je ne vous troublerai plus, et si je ne vous ai pas écrit le soir même de mon retour c'était parce que je savais seulement que vous étiez au Zoute, sans savoir votre adresse. Vous tenir soigneusement dans l'inquiétude afin de vous faire penser à moi: quel truc de mauvais roman!
J'espère que vous reviendrez voir ma mère après votre retour avec une merveilleuse mine de Sirène flamande et des yeux brillants d'Andalouse en amour! Et pardonnez-moi tout ce que j'ai pu faire et dire sans en avoir le moindre droit, ce n'est pas une phrase que je vous fais ici, et la preuve est que je ne sais rien y ajouter. Vous avez été par moments vraiment trop indulgente, je vous en remercie, mais je regrette maintenant d'avoir si égoistement profité de cette indulgence; au fond j'ai peut-être très peu pensé au mal que je vous causais et il faut me le pardonner. Vous le faites?
Je me sens très calme maintenant. Je réalise que j'ai perdu, et bel et bien perdu; reconnaître cela, voilà le hic! je crois que j'y suis; ou j'y serai bientôt. Je veux éviter de vous revoir trop tôt: laissez-moi le temps. Ce temps vous servira, à vous, de vous prouver que vous n'avez vraiment pas tant besoin de moi; ce serait trop bête si je devais jouer, après tout, le rôle de ‘Vengeur par Absence’. L'amour est illogique; sans amour la raison nous dit que personne n'est unique, que tout peut être remplacé: même Eddy du Perron!!!
Je n'oublie point notre engagement (!), je garde soigneusement la bague et vous avez ‘l'amie du poète’. Mais pour le moment, cessons de nous tourmenter (comme vous avez si bien dit une fois ) et aimons-nous (bien) à distance! Car malgré que j'ai le sens de ma ridiculité, vous connaissez le texte: ‘la chair est faible.....’. Soignez-vous bien, ‘laissez-vous pénétrer par les rayons de soleil’, et surtout ne vous inquiétez pas.
Votre Eddy.
Excusez le papier!
Origineel: particuliere collectie