E. du Perron
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F. Hellens
Gistoux, 12 mei 1931
Gistoux, ce mardi.
Mon cher ami,
Je suis heureux d'avoir de tes nouvelles. J'avais appris de Méral que tu étais rentré, et assez ‘défatigué’, mais j'étais sur le point de venir ici. Tout va bien pour l'instant, grâce à un tas de choses qu'on laisse dans le bleu - ce qui est le secret de la vie, peut-être. Ma mère a l'air d'aller bien et Simone est chez ses parents à Montigny-les-Tilleuls. (Elle y est peut-être baisée par son beau-père de 32 ans, mais après tout, que veux tu qu'on y fasse?) Je devrais aller à Paris aujourd'hui pour revoir Malraux, qui n'a pas l'air de venir à Bruxelles; mais des emmerdements avec l'auto m'en ont empêché. Bon, on ira plus tard. Veux-tu demander à Méral de surtout envoyer à Pia (9 rue Paul Bert, Colombes) ces nègres1790, ou peu importe quoi, mon numéro de la série enfin. J'y tiens infiniment plus que si c'était pour moi-même, et Stone1791 ne peut que gagner au change.
Tu ferais bien peut-être de te laisser bercer par ta flemme ou par ton retour d'âge, ou par ce que cela peutêtre... Tu reprendras le boulot après 50 ans. Ça vaut mieux. Stendhal avait 54 ans et ne bandait plus lorsqu'il écrivait La Chartreuse, d'où le ‘charme de regret’ de cet ouvrage. Moi aussi, je ne fous rien; selon Malraux paree que j'ai la flemme, selon moi parce que je n'ai rien dans le ventre, parce que je suis trop jeune. Heureusement que la vie ne doit pas être forcément passée en écrivant!
Holst vient ici le 16 et resterajusqu'au 22 ou 23; puis j'aurai des gens (Greshoff peut-être et d'autres) jusqu'au 25, puis ce sera de nouveau le calme plat. Je n'arrive pas à me promener tout seul, je ne suis pas assez poète pour cela; ça me fout une mélancolie romantique des plus fades que je supporte très mal, en vérité. - Je ne fais que lire des ouvrages sur la révolution, pratiques et littéraires. J'ai essayé ton Babel; c'est bien emmerdant. Par contre, essaie, toi, Ce qui ne fut pas de Boris Savinkov, et aussi les Souvenirs d'un Terroriste du même1792; il y a là des choses excellentes! Ce n'est pas un littérateur, comme tu sais, c'est un terroriste du genre sceptique mais extrêmement courageux. Ensuite, L'Ombre du Caudillo, qui est parfois épatant.
Je te déconseille vivement de réimprimer les Réalités fantastiques ou un autre ouvrage complet. Ce qu'il faut, c'est des contes choisis. Envoie-moi tous tes recueils de contes, sauf les Hors-le-vent d'où il ne faut prendre que Les Soirs de Gand. J'aimerais beaucoup faire le choix avec Méral, chacun séparément, puis confronter nos listes. Mais envoie-moi tout, car il est temps!
Quant aux histoires du comité,1793 à vrai dire je trouve cela assez insupportable. Quelle malheureuse idée de m'y mettre! Je te suis très dévoué, mais là je m'esquive; tout le travail que tu veux, mais pas de parlotes et de dîners. - Au revoir! crois-moi toujours bien sincèrement
ton EdP
J'ai vu le Philippard1794; quel con!
P.S. Amitiés à Maroussia. Nous avons passé avec elle (Delgouffre, Méral et moi) une soirée charmante, en petit comité et bavardant sans contrainte. Parfois chez toi, il y a tout de même un peu trop de monde; alors on s'y coudoie, mais on ne se ‘trouve’ pas. Ceci aurait plu à Beyle, Milanese.