E. du Perron
aan
C.E.A. Petrucci
Brussel, 18 juli 1923
Bruxelles, X Juillet.
- mercredi -
Chère Clairette,
Me croiriez-vous si je vous disais - mais - mais.... si je vous le disais, pourtant, que je vous.... - non, ça c'est Alfred de Musset, je vous demande bien pardon, ce n'est pas moi! Mais j'allais vous dire que - diable! - que je vous remercie, évidemment, 1o pour votre lettre qui est très bien arrivée ici, sans un pli, sans une tache, - 2o pour avoir 4 fois essayé de me téléphoner. Pauvre amie! Il en est ainsi: le téléphone est enkylosé. Et voilà comment nous nous avons manqué - une fois de plus - je dis nous, car si vous m'avez manqué par téléphone, moi j'ai passé au moins quatre fois devant votre porte sans oser supposer que vous désiriez me voir, sans oser sonner, par conséquence. Et ainsi Madame Tity vous a enlevée! et comme je ne puis pas me rendre au Zoute, faute d'argent et faute de beaucoup d'autres choses, il ne me reste qu'à patienter. Et bien, patientons!..... J'ai une maison, un gramophone et une femme - à journée; honni soit qui mal y pense - et qui désirerait davantage! Il y a deux moyens de se débarasser de ses ‘peines’: les noyer dans la mer du Nord et les abrutir par des disques-Odéon très criards!
Je travaille très mal, mais que voulez-vous? J'ai un gramophone; - je vous invite de venir entendre M. Noté chanter l'air du toréador, si vous me revenez (sanguine et sans peine). Pour le moment débrouillez-vous - avec vous-même... Pourquoi ‘vous’ en voulez-vous? parce que vous vous fatiguez en voyant des vieilles dames qui n'offrent qu'un minimum d'intérêt? - et cela jusqu'à minuit? (je ne parle pas de votre tante Emma qui me paraît toujours charmante); mais enfin, Clairette! Puisque la Société est une dame intelligente qui ne donne des éloges que contre des sacrifices, sacrifiez-vous de temps en temps, rendez le bien: votre charmante personne - pour le mal: veuillez conclure! - J'espère que le Coq vous soit un médecin merveilleux et que vous n'y souffrirez plus de cette affreuse chaleur qui nous a tous momifié un peu.
Les voeux prononcés, reprenons les remercîments. Merci beaucoup de tous les baisers dont vous me chargez pour mes parents. Est-ce que, en me chargeant de cela, vous déchargez tout un stock sur moi? alors, deux fois merci, - alors, politesse pour politesse, affection pour affection, - je vous charge d'embrasser pour moi votre chère maman, soigneusement, tendrement infini-ment. Merci.
Quant à vous, je réponds à votre poignée de main si vigoureuse par un grand effort de mon bras affaibli.... Au revoir, chère Clairette, et si vous ne changez pas d'idée, si vraîment vous allez m'écrire, soyez gentille dans votre lettre, embrassez encore beaucoup mes parents et soyez remercié - mille fois - d'avance.
Je reste, vous le savez, relativement
votre Eddy
Origineel: particuliere collectie