E. du Perron
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C.E.A. Petrucci
Brussel, 5 januari 1923
5 Janvier
Ma chère amie,
Merci pour votre lettre d'hier soir et d'être venue aujourd'hui. Vous pensez à moi - j'en suis heureux; je commence à savoir traduire certaines de vos expressions.
Avant-hier soir après avoir porté ma lettre que vous avez lue, j'en ai écrit une autre, très longue, où j'ai fait une sorte de défense de moi-même,- je me sentais si misérable; pardonnez-moi. C'était indigne de nous, quoique nous ne sommes que deux ‘enfants’! Je l'ai déchirée déjà.
Hier soir après avoir reçu votre lettre je vous ai répondu de façon assez sauvage, disant que j'étais indifférent à tout qui n'était pas Vous et Moi, que je n'avais qu'à vous reconquérir, vous sentir de nouveau tout près de moi, etc. etc. Je l'ai déchirée immédiatement après.
La nuit je me suis remis à vous écrire, raisonnant que ce serait mieux de ne pas nous voir. Cinq minutes après je sentais que j'irais quand même! Vous voyez qu'en somme je vous suis reconnaissant - ou dois-je l'être à votre maman? - de ne pas pouvoir me recevoir aujourd'hui. Mardi, qui sait? je me sens jeter de gauche à droite, sans volonté. Je ne sais plus ce que je dois faire, mais je ne puis cesser de penser, et je me sens si_impuissant - et ridicule.
Pardon, Clairetty chérie, de vous tourmenter ainsi; je sais que vous aussi, vous souffrez et plus que moi peut-être; je pense beaucoup à vous, à votre situation et croyez-moi quand je vous dis que je vous comprends; mieux que vous ne le pensez!
Si j'étais vraiment votre ami, je sens que je pourrais vous consoler, je vous soutiendrais avec toute ma volonté, avec toute l'influence dont je serais capable. Mais vous comprenez qu'en ce cas-ci, je ne puis rien! que souffrir avec vous.
Qu'est-ce que c'est que Selezate? Est-ce la ‘domaine’ des Peniakoff? J'espère de tout coeur que vous rentrerez retapée. Et alors il faut mieux ne pas me voir car c'est plus fort que moi, je recommencerais à vous parler de nous - comment voulez-vous qu'il existe autre chose pour moi? - et je vous ferai de la peine encore, car chérie je ne peux pas sentir que vous vous éloignez de moi et rester inactif, tant que je pourrais sentir et penser! Pardonnez-moi! il me semble que je n'ai plus d'orgueil et que je continuerais, même si je devais vous ennuyer, vous dégoûter!
Et du reste: seriez-vous assez naïve de croire que nous ne nous tourmenterons pas si nous parlions d'autres choses, si nous tâchions d'étouffer en nous des sentiments trop vivants sous une petite conversation sur ce poseur de Cocteau ou même sur cette grosse caisse de Shakespeare??? Ni vous ni moi, nous ne sommes de cette étoffe, que vous le voulez ou non, chérie. Mais vous, vous essayez encore et moi j'y renonce! Parfois, se dominer est mal!
J'espère que vous ne me voudrez pas de cette lettre qui remplace trois autres - en miettes et morceaux en ce moment. Mes compliments à votre maman, qui, elle, ne me pardonnerait pas, j'en suis sûr. Eh bien, je suis ridicule, je l'avoue. Mais vous, vous pouvez me comprendre, n'est-ce pas?
JE PENSE A VOUS! - Eddy
- Je pars le 10 pour Paris.
Origineel: particuliere collectie