E. du Perron
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C.E.A. Petrucci

Brussel, 28 december 1922

28 Déc.

Ma chère Clairette,

Puisque vous êtes là et que vous n'êtes pas venue ‘dès votre retour’ c'est que vous êtes fâchée; ou bien...... aviez-vous vraîment l'intention de me faire une ‘visite de pitié’? Non, c'est plus probable que vous êtes fâchée.

Eh bien; ma chère amie, ce n'est pas une raison de me bouder. En tout cas je vous écris pour ne pas en avoir l'air, moi; ce serait si ridicule entre nous; c'était pour éviter ces ‘sentiments boudeurs’ que je vous ai écrit la dernière fois à Paris. Si je ne viens pas chez vous c'est que......

Voulez-vous une raison mondaine? - C'est que je crains vraiment trop de vous déranger. (C'est une réponse à donner à votre maman.)

Une raison sentimentale? - C'est que je déteste vos amis de toutes mes forces, maintenant, et sans les avoir vu. Caligula exprimait le désir de couper la tête (unique!) à tout le monde; je ne suis pas si féroce que cela, mais si tous vos amis avaient un seul corps je relirais Le Jardin des Supplices pour y retrouver les plus affreuses tortures à faire succomber ce corps-la.

Et je vous en veux comme vous m'en auriez voulu quand après avoir longuement attendu mon retour je vous aurais écrit: ‘Je regrette beaucoup, chère amie, mais je reviens avec une bande de rapins de Montmartre et vous ne me verrez qu'en leur compagnie’.

Je hais vos bohèmes autant que vos mondains, autant que vous méprisez les ‘miens’. Il y a deux jours, le soir, j'ai rencontré dans la rue Beau-Site deux dames en compagnie de deux messieurs, je me suis figuré que c'était vous avec les amis en question. C'était deux jeunes messieurs paraissant très spirituels - dans l'obscurité - et portant des chapeaux noirs à larges bords. Le lendemain j'ai remplacé mon chapeau noir par un chapeau gris. Voilà un détail..... ridicule; certes, très ridicule, et tellement mesquin. Je connais ces observations-là. Eh bien, de temps en temps je me permets d'être ridicule, vous le savez.

Voyons, Clairette, ne nous boudons pas. Je ne viens pas chez vous parce que la politesse, non, l'amabilité demandée me ferait trop de peine, vraîment. Et parce que vous, parmi ‘une théorie de gens’, ce n'est plus vous, - pour moi.

Si je n'étais pas trop sur de vous déranger je vous écrirai, chaque jour, si vous le vouliez. C'est préférable à une comédie, selon moi. Mais je m'en abstiens: vous liriez mes lettres dans la rue, vous ne me répondriez pas, ou bien vous vous croiriez déjà très clémente si vous répondiez par un petit compte-rendu de vos gestes, sans y ajouter aucun sentiment.

Maintenant il est bien temps que je vous laisse, je suppose.

Si vous pouvez venir, venez, je vous en prie, ne fût-ce que pour ne pas me bouder!

Si vous ne pouvez pas venir, écrivez-moi en deux mots la synthèse de vos pensées!

Mais, si à votre tour vous me détestez maintenant de toutes vos forces, donnez-moi par votre silence même le signe de vous laisser tranquille pour tous vos jours à venir!

En ce cas je vous écrirai encore une lettre de remercîment, car je vous dois vraiment trop. Et ensuite je vous obéirai, Madame, comme dans tous les mélodrames.

Votre Eddy

Origineel: particuliere collectie

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