E. du Perron
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C.E.A. Petrucci

Brussel, 11 oktober 1922

Bruxelles, 11 Oct. '22

Ma chère Clairette,

Votre lettre du 6 Octobre (jour de départ de Mlle De M.) m'a fait plaisir; j'en attends avec impatience d'autres, quoique je crains que l'‘intervalle’ se glissera bien entre vos exercices épistolaires. Votre inquiétude vis à vis mon ‘devenir gentleman’ me décourage plus que vous ne pouvez vous l'imaginer, je sens que vous avez raison: je ne suis qu'un mufle, un lourdeau sans raffinement et sans tact, et je suis prêt de faire pour vous des choses.... stupides, inutiles, que peu de vos amis mondains feraient probablement, mais je vois la difficulté de se faire un petit brabançon poli et câlin quand on est né terrier plutot malpropre. Aussi vous reconnaîtrez bientôt peut-être que je ne suis bon qu'à me montrer quelques fois par an: les quelques fois que vous éprouverez le besoin (comme variation) de voir un mufle ‘de race’.

Pardonnez-moi cet amertume, ma chère amie, que vous ne méritez pas; mais c'est plus fort que moi, j'ai déjà déchiré une autre lettre et il faut que je reste franc envers vous, même quand vous allez m'en vouloir de nouveau pour cela. D'ailleurs quelques fautes de plus, qu'est ce que cela ferait; mon dossier de péchés doit être déjà bien rempli et je ne fais qu'attendre le jugement et la punition.

Je me réjouis d'avance de nos promenades à cheval; mais j'attendrai votre retour et l'affirmation de ce projet avant de faire faire une costume, puisque, sans vous, vous savez, je monterai bien en complet ordinaire. Je m'imagine des choses parfois mais je sais trop bien que je n'ai ni la tête ni la stature d'un élégant.

Puisque vous êtes redevenue solitaire je vous envoie un peu de lecture, comme je vous l'ai promis. D'abord ‘Petit’ Louis, qui est beaucoup mieux que le petit bouquin de Tr. Bernard; ceci est très français et très bien observé, l'entourage du ring est excessivement bien, je suis sûr que vous aimerez ce roman sportif. Puis Ecce Homo de Nietzsche que j'ai lu avec tout l'intérêt que j'aurais eu pour un roman palpitant; maintenant les théories de l'homme ne sont pas toujours sympathiques, mais ce qui est émouvant c'est son langage de maître. Je vous l'envoie comme variation sérieuse après le plutôt léger ‘petit’ Louis. Ensuite, pour le train, un charmant bouquin de Conan Doyle qui vient d'être traduit, et qui fut une fois ma passion: Les Aventures du Brigadier Gérard; j'ai relu les aventures: ‘comment le brigadier prit Saragosse’ et ‘comment il triompha en Angleterre’, mes deux aventures favories dans ce recueil; il y en a une autre: Les Exploits de Gérard que vous connaîtrez déjà, peut-être, et que, sinon, je vous trouverai, quand vous aurez aimé celles-ci. Ce sont des petites aventures pas trop longues, très enclines à être lues dans le train, entre deux petits sommes!

Mon roman marche.... marche. Mais, ce qui est toute une autre question: l'aimeriez-vous? C'est ça et la.... brutal, si vous voulez; j'ai voulu le faire vivant avant tout, et la vie n'est pas soyeuse, ni belle, je crois.

Clairette, voulez-vous me rendre une grande service? Trouvez-moi alors une reproduction de la buste de Cosme de Médicis par Cellini, qui est au Bargello; pas en plâtre, naturellement, mais en photographie; j'aime plus les teintées que les noires. Puis, si cela vous ne ferait rien, j'aimerais avoir la petite reproduction du portrait de Barbey d'Aurevilly, qui était dans le numéro de l'Illustration que je vous ai envoyé de Paris (sur le Salon) et que vous n'aimiez pas trop; vous devez l'avoir toujours à Quinto. Mais ceci seulement dans le cas que cela vous ne fait rien de découper ce morceau de page; car si vous aimerez à garder l'album intact, je me passerais bien de ce portrait. C'était pour le mettre dans une assez belle édition des Diaboliques que j'ai enfin trouvée; et tout au contraire des Contes (soi-disant) cruels de Villiers de l'I.A., j'aime énormément ce livre.

Vous pensez à moi? je pense à vous; et si vous le faites toujours avec un peu de rancune, je le fais avec un grand découragement que je m'efforce de changer en une certaine ‘indifférence’. Je vous aime trop pour cela, mais il suffît de me voir bien en mufle. - Rassurez-vous à l'égard d'Angenot; il n'est pas méchant et le jour où il le serait envers moi je le lui dirai bien et je saurai me passer de lui. Je n'ai trouvé qu'un ami qui a toute ma confiance en Europe: c'est vous.

Mes respects à votre maman; vous avez toutes les deux les meilleurs sentiments de mes parents. Je vous baise la main, Clairetty.

Votre Eddy.

Origineel: particuliere collectie

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