E. du Perron
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C.E.A. Petrucci

Pisa, 24 april 1922

Pisa, 24 avril 1922.

Ma chère Clairette,

Vous m'avez fait l'honneur de m'appeler de temps en temps ‘un drôle de type’; - vous allez le faire une fois de plus. Car me voilà parti de Florence à 6 heures du matin et 2½ heures plus tard je me retrouve dans une chambre d'hôtel, et regardant par ma fenêtre le même Arno jaune dont vous avez admiré hier ‘les flots tumultueux’, et un pont qui ressemble comme deux gouttes d'eau le pont à droite de l'albergo Berchielli, - moins les statues. En compensation j'ai devant moi, de l'autre côté de l'eau un bâtiment qui est une copie minuscule de la Seigneurie; tout-à-l'heure, quand je commençais cette lettre, les aiguilles de la montre marquaient 8h. 35.

Il n'y a donc pas d'erreur: je suis à Pise et j'y resterai jusqu'à demain (à peu près cette même heure) pour reprendre le train pour Turin. Vous vous rappelez ces vers, Clairette:

 
Quand on perd, par triste occurrence,
 
Son espérance
 
Et sa gaieté,
 
Le remède au mélancolique,
 
C'est la musique,
 
Et la beauté!

- Eh bien, ce n'est sûrement pas la musique que fait un wagon sur les rails, ni la beauté de quatre hommes ronflants qui seront pour moi ce remède. A Pise on devait changer de voiture. Mais je me trouvais encore en possession de 227.50 lire, sans compter les 75 francs français (le compte est presque exact); il y a à Pise la tour oblique à admirer et je connais le mot italien ‘albergo’; combiné avec le mot ‘facchino’ cela représente assez, dans les circonstances données! J'ai trouvé une bonne chambre, du papier, des enveloppes, de l'encre, une plume épanouie, - je peux donc gagner ma gageure que c'est moi qui écrirai le premier! Voulez-vous dire à madame Petrucci que jusqu'à présent mon voyage s'est déroulé sans accidents?! Et ensuite la présenter mes - comment dîtes-vous - ‘souvenirs les plus sympathiques’?

Clairette, il me faut encore une carte postale! - vous la trouverez chez les ‘Cuoi artistici’ dans votre rue, un peu avant le Ponto Vecchio. C'est la fresque de Fra Angelico: ‘le Christ et deux moines’ qui se trouve au-dessus d'une des portes dans la cour (?) du couvent de Saint Marc qui me manque. Vous rappelez-vous? que j'ai cherché au couvent même, mais qu'on n'avait plus. Je suis sûr de l'avoir vu dans la collection de cartes postales de ces ‘Cuoi art-’, que je viens de vous signaler.

Alors - comme commençaient tant de nos conversations -: encore une fois merci pour tout ce que vous avez fait et ce que vous avez été pour moi. J'ai passé à Florence une semaine que je n'oublierai jamais; dans cette semaine nous sommes devenus plus amis que nous ne l'étions déjà, il me semble; et il y a quelque chose en moi qui proteste contre l'ironie situé dans le fait qu'on approfondit ses sentiments, le moment quand on sait qu'on va se quitter! Quel cri banal de génie manqué: ‘Je suis sûr que nous aurions pu faire quelque chose ensemble!’ - pourtant, j'en suis sûr. Enfin, n'en parlons plus. Bon travail, Clairette, et ne soyez pas triste!

Votre Eddy

Origineel: particuliere collectie

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