E. du Perron
aan
C.E.A. Petrucci

Brussel, 16 december 1922

Brux. Samedi soir

Ma chère Clairette,

En vain j'ai cherché partout mon remède anglais; les pharmacies qui s'appellent ‘anglaises’ ici ne le sont, paraît-il, pas plus que les autres et le pauvre Dr Jaymes est pour les Bruxellois un grand Inconnu. J'ai écrit à une pharmacie à Ostende dont notre pharmacien m'a donné l'adresse et qui doit être renommé pour ses remèdes anglais. Il aura ma lettre demain; et s'il est un peu actif la bouteille m'arrivera dans 3 ou 4 jours, de sorte que je pourrais vous l'envoyer encore.

Ce que j'ai bien trouvé c'est tout ce qui a paru des Nouvelles Littéraires, il y a 9 numéros, je vous donnerai cela à votre retour. C'est assez intéressant, mais ça doit vous intéresser plus que moi; je vais les parcourir et vous allez les garder! Il y a entre autres un portrait de Cocteau (dessin de Jean Oberlé, je crois), puis un autre du bon Marmousset qui a dû s'écrier comme feu Byron: ‘I awoke one morning and found myself famous! ‘ - un brave typographe qui a écrit tout un roman en argot; quel délice! Il y a ensuite des articles sur Marcel Proust de Cocteau, Paul Morand, etc. etc. le tout doit certainement vous ‘charmer’. Entre parenthèses, avez-vous jamais trouvé le courage d'aborder Proust? Il faut que nous nous y mettons, il paraît que c'est le grand homme du siècle, c'est Edmond Jaloux qui le dit, et une telle déclaration d'un monsieur avec un tel nom mérite d'être accepté - sans phrase. Maintenant.... je me rappelle qu'après la mort d'Alfred Capus on a brusquement constaté qu'au fond il n'existait pas d'écrivain plus célèbre que lui; seulement sa célébrité fut tellement grande qu'on a oublié d'en parler. - Pour le moment que notre devise soit: Achetons du Proust!

J'ai fait une longue promenade à la recherche non pas du ‘temps perdu’ mais de l'Expectorant introuvable; eh bien, je ne me sens pas fatigué, j'ai inhalé l'air frais comme variation après les remèdes Pauportéens et cela ne m'a pas fait du mal, j'en suis sûr. Mardi, je verrai; je ne dirai rien de mon ‘état de faiblesse générale’ (si vous saviez comme je trouve ridicule ces mots!) et le brave Roudi va s'employer à fond. Si je devais continuer cette vie de brebis malade je serais trop dégoûté de moi-même; d'ailleurs je n'ai rien fait que me nourrir tous ces jours, avec des oeufs, du miel, sans parler des pillules et des autres remèdes et je ne me sens plus faible du tout; plutôt engourdi, voilà tout, et embêté par l'intrus dans ma bouche. Non, c'est bien décidé, quand vous rentrez à Bruxelles vous me verrez ‘sain et sauf’ et.... retapé comme vous dites; ah, soyez-en sûre! surtoût cela.

Je me demande pourquoi vous vous obstinez à ne point répondre à certains points dans mes lettres.... mais enfin, si vous n'en avez pas le besoin, ne le faîtes pas. Seulement, souffrez que je vous écris un peu mes sentiments - tout mauvais que soit mon français, - quand j'en éprouve le besoin, moi. Je vous aime tant et contre tout raisonnement, toute logique, même tout orgueil!

Eddy

Origineel: particuliere collectie

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