E. du Perron
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C.E.A. Petrucci

Brussel, 16 december 1922

Brux. 16 Dec '22.

Bravo, ma chère Clairette, vous travaillez et vous commencez à être contente de ce que vous faîtes! - que je suis content, moi aussi; le croyez-vous? Quant à votre ‘mérite à vous y mettre’, personne n'en sera plus persuadé que moi, car dans une foule (de gens et de choses à faire) telle que vous me le décrivez je ne saurais faire qu'‘emmagasiner’, tout au plus, jamais travailler. Et quoique votre genre de travail diffère du mien, j'en suis persuadé que pour vous aussi, pour arriver à un resultat sérieux, il faut - non le repos, certes - mais la quiétude.

Ensuite je commence à être inquiété assez sérieusement d'une toux, moi qui regarde ces ‘petits spasmes de la gorge’ en général avec assez d'indifférence; mais Clairette, la vôtre.... qui est peut-être le mien, me voit plein de remords. Quant à moi j'ai dû faire des inhalations et j'ai eu une bouteille de remède du dr.; maintenant pour vous? Cherchons ensemble. Il y a un remède anglais, un très vieux, qui s'appelle Expectorant de Dr Jaymes; contre une toux assidue cela est parfait. Je vais voir aujourd'hui - 2me jour de ma sortie - si je peux trouver cela et vous le faire envoyer. Essayez; je vais vous écrire encore ce que vous pourriez en prendre au plus, puisque cela contient entre autre de l'opium. Mais c'est parfaitement sans danger, puisqu'on le donne même aux enfants. Aux Indes cela n'a jamais tardé à me remettre. J'y pense maintenant; et ce qui est pour le moins aussi ‘curieux’ que la mutilation de Sophocle par Cocteau c'est mon ingeniosité comme ‘médecin’!!! Et il y a plus; quand vous n'êtes pas encore guérie après votre retour, ce ne sera pas vous qui verrez d'après moi, mais moi qui vous soignerez! Je n'ai pas oublié notre alliance-offensive-et-défensive de 2 janvier 1922, et ma foi ce n'est pas moi qui y manquerai! Serrons les rangs!

Maintenant, listen my dear and I'll tell you somewhat! hier j'ai quitté le lit (avec 1½ joue) et j'ai fait une longue promenade; aujourd'hui je vais faire la même chose, et pas plus tard que mardi, c.à.d. dans 3 jours, je remets les gants, salle Dupont. Nous allons voir si je suis devenu vraiment si décrépit que ça! Ma dent va beaucoup mieux, en 3 jours l'enflure aura disparu. Le 26, pour en finir, vous me retrouverez ‘en bonne santé’, puisque, Madame, c'est votre volonté suprême!.... Ne criez pas alarme de/sur? mes méthodes de guérison; c'est ce qui s'appelle ‘cure d'autosuggestion’, d'après les couvertures de certains bouquins que je n'ai jamais feuilleté. Mais je sens qu'avec un certain résignation mentale et un bon effort physique je redeviendrai tout à fait ce que j'ai été. Et aux galères ‘l'état de faiblesse générale’ du bon Pauporté.

Clairette, quant à vous, je vous en prie, soyez prudente. Vous n'êtes que ‘vannée, éreintée’ maintenant, vous serez complètement ‘malade’, si vous continuez ainsi. Je ne comprends pas trop bien pourquoi votre maman vous pousse hors du lit quand vous n'en pouvez plus, ce n'est vraiment pas la méthode et elle aurait pu vous excuser. Je suis un ours, eh bien oui, mais vous avez trop de considération avec les gens; croyez-moi ils n'en valent pas la peine! ‘Les gens’, connaissez-vous quelque chose de plus haïssable que ce collectif-là? Enfin nous ne nous entendrons jamais là-dessus, mais vous serez quand même de mon avis peut-être quand je vous dis que votre santé est chose préférable à l'appréciation des gens! Voyons, soyez sage aussi!

C'est une jolie description que vous me donnez de l'atelier.

 
Eh, dis donc,
 
Mademoiselle Trognon,
 
Si tu chantes sur ce ton
 
Nom de nom
 
de nom de nom!
 
Je te crèpe le chignon!

C'est peut-être très gai, mais vous voyez que vous avez dû vous rebiffer déjà, et je ferai des prières d'ici à votre retour pour vous revoir avec votre coiffure fasciste, dont je me dispenserais avec trop de peine.

Avez-vous jamais vu la fille de Mme Angot, votre homonyme? J'y suis allé il y a quelque temps, c'était assez léger, mais amusant et j'y ai entendu prononcer votre nom de 100 différentes manières. Connaissez-vous l'air d'Ange-Pitou au premier acte:

 
Certainement j'aime Clairette,
 
Mais dois-je mourir de chagrin
 
Si peut-être par une autre conquête
 
Je peux me venger de son hymen!

J'ai vu des sourires significatifs autour de moi! J'étais ‘en famille’, ce soir-là. Mais....... la Clairette qu'on nous offrait ne m'aurait même pas causé une rhume; je laissais donc Ange-Pitou se lamenter tout seul, et j'ai pensé à ‘autre chose’.

Votre dessin a toute mon admiration; la ressemblance est surprenante et même les chats et le chien sont trop reconnaissables, p.ex. celui sur mon ventre qui évoque un chou ou bien un radis!!! L'encrier sur la table de nuit est un détail vraîment psychologue tandis que la plume d'oie est symbole (sans doute) de mes ecrits vieillots; - A propos, lisez-vous déjà ‘Les Nouvelles Littéraires’, il y a 2 meux le premier numéro a paru; vos amis doivent être armés de ce journal.

La compagnie de votre lettre m'a bien égayé, et maintenant je n'ai qu'à attendre avec le moins d'impatience possible votre retour. Le 26, c'est dans 10 jours. Il ne fait pas si froid que ça, ici, entre parenthèses. Je vous quitte Clairette chérie avec un baiser plein de reconnaissance et de.... fraternité.

Eddy

P.S. - Je ne vous ai point oublié auprès de mes parents! Vous avez toutes leurs bonnes pensées et veuillez transmettre à madame votre mère toutes leurs amitiés et leurs respects et ma profonde humilité. (Mais il faut vous laisser dormir! )

E.

P.P.S. - Vous êtes tout à fait gentille de vouloir m'envoyer faire du sport d'hiver en Suisse, mais il faut absolument que j'aille à Paris, sinon à Montmartre. C.à.d. je pourrai peut-être m'installer ailleurs et seulement faire des escapades vers la butte, qui a perdu beaucoup de son charme pour moi. Mais pour mon travail c'est impossible de chercher des détails ailleurs que là; et comme je compte terminer tout le bazar en mars, il faut bien y aller et travailler. Quand je pense à mon roman je me sens parfois assez triste. J'ai remarqué cela par un simple contraste. Etant malade j'ai relu un livre qui, il y a bien longtemps, était mon livre préféré; c'est une histoire de jeunes garçons, dont l'un, le principal personnage, devient corrompu malgré toute disposition noble. C'est écrit avec assez de psychologie, par un professeur, probablement; le livre est classique en Angleterre et s'appelle Eric, or little by little (peu à peu), par Farrar. Il y a pourtant des détails la-dedans vraiment trop ingénus, presque ‘calotin’ quand on peut dire cela d'un protestant! Dans le temps que je faisais mes prières du soir - 10, 11 ans - je pleurais en lisant certains passages, à chaudes larmes! Et, ce qui est curieux, c'est qu'après 12 ans je me retrouve touché par ce livre, ému malgré toutes les fautes que j'y découvre maintenant, peut-être parce que c'est écrit d'une façon malgré tout tellement sincère. Maintenant, ne riez pas, chérie, après lecture de cela (!) quand je reprenais mon roman, je l'ai trouvé parfois assez ‘vulgaire’. Dans mes efforts à être cynique, mordant, etc. j'ai toujours trouvé que je ne l'étais assez, pas encore assez, et après Farrar - on a besoin de ces contrastes - je suis arrivé à comprendre l'indignation de ma cousine! Ces sentiments passent assez vite, bien sûr, et ce n'est que naturel qu'à 23 ans je diffère du petit bonhomme que j'étais à 11, mais je constate chez moi une grande différence de principes, de manière-à-voir, qui est assez ‘douloureuse’. Heureusement qu'il y a toujours une différence aussi entre moi-même et Eric Grave, mais trop souvent je pense tout à fait comme lui, avec le même orgueil, mépris, cynisme qu'il faut traduire par: mécontentement, faiblesse, trop de sensibilité, protestation contre tout cela! Dans tout ceci j'écarte l'élément ‘artiste’, c'est de l'homme, du caractère que je parle. Et avec l'ironie, qui, au fond, adoucit tout, je me compare à un petit garçon qui entend ses camarades parler des choses plutôt malpropres, défendus, mais qui par cela même croit entrainer son courage quand il domine son aversion et en parle plus qu'un autre. Vous y êtes? c'est un peu cela. L'artiste n'y est pour rien.

Après cette confession, ma chère amie, je vous quitte; définitivement. Ce que j'ai bavardé! Enfin, vous me pardonnerez, en pensant que ce n'est qu'à vous que je fais ces révélations-là. A bientôt, j'espère.

Origineel: particuliere collectie

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