E. du Perron
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C.E.A. Petrucci

Brussel, 7 oktober 1922

Bruxelles, 7 Octobre '22.

Ma chère Clairette,

Pardonnez-moi, mais il m'est impossible de vous écrire. J'ai essayé deux ou trois fois, commençant toujours d'une autre façon,- cela ne marche guère. Mieux vaut attendre votre retour; je vous parlerai alors. Vous m'avez donné tant à penser, j'ai tant à vous dire que je pourrais écrire 5 ou 6 lettres au lieu d'une, sans m'expliquer. Vous savez comme je suis bavard. Vous n'auriez pas le temps de les lire, surtout pas à présent que le repos toscan est devenu une invasion belge; invasion à laquelle même les gais cavaliers ne manquent pas, parait-il.

Et si vous trouveriez encore le temps de les lire, vous ne trouveriez jamais le temps de répondre. Il y a encore tant de choses - et assez sérieuses pour moi, si elles ne le sont pas pour vous - dont vous me devez toujours la réponse.

Je me demande si elles ne sont pas noyées dans le thé. Mais j'ai l'impression de parler dans le vide et c'est loin d'être gai. Pour vous épargner cette impression-là je vais vous répondre en tout cas à vos lettres.

1. Il y a avant tout la question Artôt. Je trouve cette lettre très franche et loyale, entre amis (je ne sais pas de quelle façon votre maman est l'amie de Mme Artot.) Ce qui est bête dans cette affaire c'est qu'ils se sont élancés d'un faux point de départ: un mensonge de Mlle Van der Hecht. C'est elle qui a inventée les choses qu'aurait racontées ma mère. Je suis sûr de cela, car ma mère et elle ne se sont plus rencontrées après sa visite (de Mlle J.), quand elle n'a pas trouvé ma mère, mais moi. Enfin, j'espère que tout le monde sait maintenant que non seulement votre pauvre maman ne nous a jamais encouragé d'acheter quoi que ce soit, mais qu'il n'y a même rien d'acheté. Résumons: beaucoup de bruit pour rien; comme vous avez conclu, vous-même.
2. Votre facteur est trop ‘homme’ pour son métier; je ne l'aime pas. Un facteur, ayant cessé d'être homme, devrait se contenter des compliments qu'il apporte.... des autres.
3. Je suis désolé de vos boutons, mais ma mère ne peut pas vous envoyer la recette, car elle ne l'a pas. C'est un ‘secret’ - (encore un!) - de certaine bonne femme en Hollande. Nous avons ici de l'eau et du poudre qui forment ensemble la remède. Voulez-vous que je vous l'envoie?
4. Je souligne, j'agrandis votre opinion que ‘les gens sont peu sympathique’. J'ai toujours ce sentiment en moi, vous ne l'avez que deux fois par an. C'est pourquoi vous me trouvez ‘ours’, ‘stupide’, etc.
5. Mon père me charge de vous demander si vous avez reçu, en même temps avec le ‘mot’ dont vous parlez, un vaporisateur? Il vous en a trouvé un à la Haye, mais ne l'a pas envoyé lui-même. Il se peut donc que le boutiquier a envoyé le mot, mais gardé ce qui devait l'accompagner. On pourra réclamer alors.
6. C'est votre dernière gentille lettre, l'événement Wolfers. Je comprends que vous avez eu tout de même de la peine, mais.... en vaut-il la peine? Je trouve cet assiduité après votre franc-parler, estompée, indiscrète, assommante. Et ça, c'est un homme, incontesté!

Eh bien, Clairetty, je vous aime, autant que lui, vous m'êtes plus chère qu'à lui, mais soyez assurée que vous ne serez plus ennuyée ni de mes propos ni même de ma présence, le jour que vous m'auriez dit ce que vous lui avez dit. Et si je plie si souvent devant vous - même quand vous faites la Reine Courroucée, c'est parce qu'en vous aimant j'ai toujours le droit, me parait-il, d'avoir quelque illusion que vous aussi, vous m'aimez. (Ceci malgré la constatation que nous ne sommes pas fiancés.)

- Depuis cela il n'y a eu question que de cette affaire de ‘poste’. Pourquoi ce ‘directeur’ vous a-t-il montré ma lettre? Et qu'avez vous dit? Est-ce pour cela qu'il se tait peut-être? Il vous a dit ‘que maintenant ce ne serait rien’, - qu'entend-il par cela? Peut-être que monsieur veut bien m'honorer de sa pitié?

Je vous en supplie, Clairette, si vraiment vous m'aimiez un peu, n'exigez pas que je joue un rôle trop humiliant! Si je lance un coup je me prépare d'avance d'en recevoir un autre en retour, et ce n'est que dans le cas que les conséquences seraient fâcheuses pour vous, que j'abandonnerai ce jeu. Ecrivez-moi aussi pourquoi cet homme vous est tellement antipathique. Quel age a-t-il? qu'entendez-vous par ‘vieux’? Ecoutez: c'est un coquin tout de même; voilà!

Savez-vous qu'à vous lire on dirait presque que ce sont ces commis de poste qui ont raison quand même? Aussi je ne vois toujours pas pourquoi j'ai dû me taire, parce que je ne suis pas le destinataire ou parce que d'autres se sont tus.

Le premier cas est trop subtil pour moi et que vous l'acceptez ou non: qui vous attaque, m'attaque; si vous voulez vous défendre seule, permettez-moi au moins d'attaquer à mon tour - puisque la défense m'est défendue. Vous êtes généreuse, vous! Et que d'autres se taisent, cela ne me fait rien, puisque ces autres sont des ‘sages’, tandis que je ne suis qu'un ‘sauvage’. Je vous le répète: si je garde le silence, c'est exclusivement pour vous faire plaisir et pas du tout parce que je suis convaincu d'avoir tort. Que ce ‘directeur’ ‘alarme’ la population ne fait qu'aggravir son cas dans mes yeux. S'il n'a pas ouvert mes lettres il a eu tort de se fâcher! Et je n'ai pas besoin de sa pitié, ni même de son pardon, ma chère Clairette, j'aime mieux être un ‘malceszone’ (?).

Je vous quitte pour ne pas trop vous embêter, je sens que je suis insupportable. C'est l'effet de votre lettre ‘furieuse’ que je viens de relire. Je compte vous faire partager cette joie, nous la relirons ensemble. Et dire qu'on vous a nommé une petite Madonne! Ce facteur..... est encore plus stupide que moi! - Je vous aime ‘très peu’, moi aussi, ces derniers jours, voilà; vous faites trop l'institutrice.

Votre Eddy

Origineel: particuliere collectie

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