E. du Perron
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C.E.A. Petrucci

Brugge, 1 augustus 1922

Bruges, 1 Août '22

2 heures ¼ après midi

Ma chère Clairette,

Voilà une journée complètement perdue, espèrons que la soirée donnera plus de satisfaction. Il est vrai que je ne me suis levé qu'à 10 h.½, mais cela n'est pas une raison de ne pas trouver une meilleure chambre. J'ai été un peu partout: sans succès. Si j'étais seul je me serais déja décidé d'aller chez Verriest tout-de-même. Il m'est impossible de travailler dans ma chambre, une pièce à peu près sans meubles, sâle, tristement basse de plafond. Et pour le moment il faut bien y rester. J'ai été dans plusieurs pensions et hôtels, sans résultat. Tout est plein: St. Christophe, Notre Dame ou le Cornet d'Or, ils envoient les pauvres visiteurs avec une égale indifférence! Et demain 3000 congressistes se jetteront dans Bruges, comme si le fléau des touristes n'était déjà pas assez!* J'ai grand envie de retourner à Bruxelles et le ferai peut-être. A Melrose j'aurai plus l'occasion de travailler qu'ici, quand cela continue ainsi. Je vous écris maintenant dans un autre café, sur la Grand'place toujours, j'ai la disposition d'une grande table et mon stylo; cela me permet d'écrire une lettre, mais je ne pourrai pas trainer mes livres, cahiers, etc. ici. Le carillon - au-dessus de ma tête - joue: figurez-vous: Destiny, (valse hésitation, si je ne me trompe pas!) Si c'est M. Nauwaerts qui fait preuve d'un mauvais goût aussi accompli, je me demande où on a trouvé l'audace de reproduire sa tête déjà assez laide dans les ‘guides pour l'excursion-visite’. Ce matin le beffroi a chanté:

 
Comme la plume au vent
 
Femme est volage
 
Et bien peu sage
 
Qui s'y fie un instant!, etc. -

une leçon à mémorer sans doute, sûrtout quand elle vous arrive d'un si ancien beffroi; mais, malgré tout, l'animal m'a fait perdre beaucoup du respect que j'avais pour lui. Je n'ai jamais pu supporter les vieux messieurs au discours lascifs et un beffroi du moyen-age qui fredonne des valse hésitations m'est antipathique. Je vous avertirai quand il fera entendre les plus modernes fox-trots ou shimmy's; vous, qui les adorez tant, vous vous déciderez peut-être de venir aussitôt et cela, mademoiselle, me fera prolonger mon séjour ici et me racommodera avec le beffroi dégénéré, je vous assure!!

- J'ai vu ce matin André Demeulemeester, il sortait d'un trou sinistre où il était en train de montrer quelque chose à un anglais (c'était dans la cour de la brasserie); il faisait un grand geste de reconnaissance (me reconnaître) (?) quand il me voyait; je disais: ‘Bonjour, M. Demeulemeester, je vois que vous vous me rappelez, mais vous avez oublié mon nom.’ Il me serrait la main en disant: ‘Non, non, attendez - attendez - c'est un nom français - monsieur du..... du.....’ - Et naturellement, j'ai dû lui fournir le reste. (Je dis naturellement, car je ne sais pas si je vous ai raconté que l'autre fois il m'a parlé 3 ou 4 fois de madame et mademoiselle Petroutschki; et après cela......)

Clairette, écrivez-moi à l'hôtel Saint Amand, vous avez l'adresse sur l'enveloppe bruyante que je vous ai envoyé hier autour de ma lettre; racontez-moi ce que fait la femme de chambre du 55 Rue des Champs Elysées, et rappelez-moi à la vieille Adèle qui sait si bien ouvrir la porte. Mais écrivez-moi vite car, je vous le répète, il se peut très bien que vous me reverrez beaucoup plus tôt à Bruxelles que vous n'en avez envie. Je m'ennuie ici, car j'ai voulu travailler et je ne saurai pas me contenter de m'asseoir à côté de Jeffay travaillant, avec un roman ou une cigarette. Je me rends compte de plus en plus que le seul moyen d'être content est de travailler régulièrement; surtout quand ce n'est pas un travail imposé par des autres.

Jusque là. Je vois que ma conversation prend une tournure dangereuse. Vous avez les respects et amitiés de Jeffay, - qui a l'air très contrarié aujourd'hui parce que ces cartons, parait-il, ‘mangent’ ses couleurs - (eat up the paint) -, j'envoie les mêmes choses à madame votre mère et une essence de cela à vous.

Je suis, Madame, quoique boîtant,

votre très-dévoué pour tousjours

Valentin2

Origineel: particuliere collectie

*On va crier contre ‘de Belziek’!
2Si je me rappelle bien vous connaissez et aimez les Aventures de M. Pickwick; alors vous adorez Sam Weller.
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