E. du Perron
aan
Pedro Creixams

Brussel, 18 september 1923

Brux. 15 Sept. 1923.

Mon vieux Pedro,

- 18 Sept.

Tu vois: depuis le 15, cette feulle t'était destinée; il y avait même une enveloppe timbrée à côté, sur mon bureau; mais en moi il y avait la flemme, - une flemme me suçant la moelle, comme la pire des femmes. Donc: excusez! Depuis 8 jours à peu prés je suis rentré; la page ‘Lenie’ est bien tournée dans le livre - ou mettons le carnet - de ma vie (pour parler comme les anciens); j'ai bien trouvé et lu tes deux lettres qui m'ont fait un bien grand plaisir; c'est agréable de trouver un bout de conversation amicale, quand on doit reprendre place dans un ensemble de choses et dans une compagnie qui, au fond, ne vous intéressent que fort médiocrement. Les rimes de Pia dénoncent le maître, montrent en même temps l'homme calé dans des choses même aussi peu signifiantes que... toute chose Hollandaise, que ce soit la Reine, ou mon futur roman. J'aimerais rectifier seulement la première phrase: les Pays-Bas ne sont pas tres riches en malins et en landes; c'est avant tout un pays de cyclistes, - et rien de plus emmerdant (pour parler comme Creixams) que ces garçons de boucher ou de boulanger se donnant des airs caballero, tout en étant suspendu au-dessus de deux roulettes. - Quant à ton accusation, tu sais que depuis quelque temps - un siècle à peu près - je suis de l'avis de notre ami Torral: ‘L'amour, dès qu'il cesse d'être un rut, devient une anémie intellectuelle’. Conclusion: Je déposerai ce soir un baiser câlin au beau milieu du nombril de Josette - en proférant ton nom.

Veuille remercier Pia pour sa collaboration énergique à ton mot; je viendrai sans aucun doute le ‘rejoindre’, dès que je serai à Paris, si l'invitation n'a pas été faite seulement à cause de la mètre et si ma visite peut lui être agréable. J'aurai, comme toujours, beaucoup de choses à lui demander, - mais en lui annonçant ceci, il faut le rassurer d'avance; tu sais que mon état d'esprit a changé depuis Montmartre, depuis juin 1922, quand fût pondu cet oeuf vide qui -. Pouah! oublions cela!

Je prépare un nouveau petit bouquin; mais - cette préparation se terminera-t-elle? Supposons un instant que oui; alors tu me reverras à Paris, puisque j'aurais besoin de toi; puisque je te supplierais d'ajouter quelques arabesques à ma prose trop sèche; d'indigner peut-être à nous deux quelques bons bourgeois du pays des cyclistes, - mais des ‘assis’ plutôt, ceux-là.

Maintenant parlons affaires moins incertaines. J'ai trouvé ici ton rasoir etc., et je trouverai bientôt ta chemise. Je les donnerai à Clairette qui a l'intention d'aller à Paris - vers la fin du mois, je crois - et qui m'a demandé ton adresse. Quant aux cartes postales, j'essayerai de trouver la maison, quoique tes indications sont plutôt vagues, - enfin, j'ouvrirai mes oreilles et j'attendrai les voix. La situation sera aussi céleste que le permettra le décor boueux.

Mais comme je t'aime beaucoup et comme j'ai des remords pour t'avoir trop négligé depuis quelques semaines je t'envoie ci-joint un de ces chiffons qui nous procure toujours un certain plaisir et que, malgré cela, nous ne savons pas ne pas détester. Bou! quelle boue! Dépense-le, au plus tôt possible, et oublies-le ensuite.

Comment va ta femme? est-elle rentrée, elle aussi, ou bien es-tu là à t'embêter tout seul dans ce Paris ‘con’? Si elle est là et si tu n'es pas jaloux et si tu sais exécuter ces choses-là avec assez de grâce, dépose pour moi, - en échange de ce que je vais faire pour toi, ce soir - un baiser respectueux et pourtant assez sensuel, au-dessus de son poignet droit, là où la peau commence à devenir sensible. Quant à toi, sois noble comme l'hidalgo qui - peut-être - te donna la vie, pardonne-moi si j'ai été ‘négligent’, crois toujours à mon amitié, et rends-moi la poignée de main vigoureuse que je t'envoie en pensée.

Mon nom - tu le sais! Tu sais même l'écrire sans faute. N'oublie pas de saluer et de remercier Pia.

Origineel:

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