E. du Perron
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Julia Duboux

Brussel, 4 april 1926

Bruxelles, 4 avril.

Je vous remercie de votre lettre, Julia, parce qu'elle était gentille; parce que vous l'êtes. Mais qu'est-il devenu de notre amitié? Vous restez si prudente - pour parler avec moi, - si méfiante, pour parler avec vous.

J'aurais beaucoup à vous dire, mais c'est comme si vous m'en enleviez le droit. Comment rechercher votre intérêt, si vous vous cachez si soigneusement à moi? Je vous ai demandé de me parler longuement de vous; j'aurais tant voulu que vous m'expliquiez votre situation actuelle: matérielle et psychologique, s'il est permis de se servir de tels mots. Décidément vous vous y refusez.

Pourrais-je vous envoyer alors un questionnaire?

J'aime mieux vous revoir. Reprendre contact personnel, pour savoir à quoi m'en tenir. Amour, affection, amitié, intérêt? je ne sais plus au juste de quoi je suis encore digne. Peut-être de rien. Peut-être me jugez vous bien méprisable. Cela m'étonnerait de la femme que vous êtes. Mais enfin, sait-on jamais? Nous sommes au fond tellement au pouvoir de notre être primitif, - le traître! Mon être primitif vous aime. Votre être primitif, très possiblement, me déteste. Moi qui continue, jusqu'à plus ample informé, à vous considérer comme ma seule grande amie (c'est drôle n'est-ce pas? non ce n'est même pas drôle) je voudrais savoir à quoi m'en tenir, (Ma Dame).

Je serais donc auprès de vous, demain, si je pouvais. Mais des liens me retiennent. Toujours ces liens! Je veux bien préciser, ma chère amie; des liens: des parents malades, des affaires d'argent peu brillantes, des dettes même, et puis - comme dit Gide quelque part; dans un livre que j'aimerais beaucoup vous faire lire -: ‘on ne fait pas un enfant à une femme sans se sentir quelque peu engagé vis-à-vis d'elle’, surtout si cette femme n'a personne à qui s'accrocher. La ‘mienne’ a 19 ans, est du peuple, et, pour moi peut-être, abandonnée de sa famille. Mes parents vont, sous peu, partir à Gistoux et y emporter l'enfant; et cette femme est mère aussi, après tout. Je lui dois donc des ‘consolations’ - comment voulez-vous que les mots soient moins idiots, si la vie, par moments, se fait tellement bête? - Depuis quelque temps je me débats dans une ambiance plutôt étouffante. Mais je voulais ne pas vous en parler.

Ecoutez ce plan de campagne. (Vous rappelez-vous que de Kandersteg et du Monte Bré nous nous envoyions de ces ‘plans de campagne’?)

Nous sommes en avril, laissez-moi me débattre encore en mai, en juin. En juillet je pourrais partir: ne fût-ce que pour un tout petit voyage, ne fût-ce que pour vous voir. Répondez-moi si vous voulez: car je dois préparer cela - ah les personnes à ménager! - assez longtemps d'avance. Et alors, pour notre rencontre, de grâce pas de parents; vous et moi, si vous voulez bien, très simplement. Indiquez-moi un hôtel, où l'on ne vous connaît pas, tout près du lac. Venez m'y chercher, ou fixez-moi rendez-vous, à l'heure que vous voulez (moi je préfère l'ombre propice). Louons, salutations faites, un petit bateau. Vraiment, le soir s'impose. On ira loin sur le lac, assez loin pour ne plus voir aucun être (sens très méprisant du mot). Alors, nous causerons. Je m'engage à laisser dans ma valise mon ‘sourire’. Le lendemain, si vous voulez, je repartirai.

Voulez-vous? Répondez vite.

Je suis votre

Eddy

Origineel: Den Haag, Letterkundig Museum

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