E. du Perron
aan
Julia Duboux

Brussel, 30 november 1925

Bruxelles, 30 Nov. '25.

Ma chère Julia,

Je viens de laisser derrière moi une sale histoire. Peu signifiante du reste, inutile à raconter. Ce qui compte pour moi c'est que, tout de suite après une telle ‘expérience’ (cela s'appelle aussi: ‘étude’, ou ‘désillusion’ selon le caractère que le héros de l'histoire aime prendre), j'ai éprouvé le besoin de m'adresser à vous. Pour vous dire que vraîment, vous me manquez beaucoup, que j'aimerais vous avoir toujours près - ou du moins non loin - de moi. Vous êtes l'aime idéale, l'Amie. Vous croyiez pourtant peut-être que je vous avais oubliée, n'est-ce pas, Julia, ou tout comme? Méfiez-vous des apparences, comme nous le conseillent les romans policiers de Gaboriau. - J'ai quitté l'impasse dont je vous ai parlé, je suis, à vrai dire, un peu dans la saleté. Ne m'en veuillez pas, surtout ne croyez pas m'avoir perdu. On se retrouve d'ailleurs, on ne se perd jamais tout à fait. Vous verrez, quand nous serons ensemble, ce sera comme si nous ne nous étions jamais quittés. J'aurai quelques ‘aventures’ à vous raconter - vous m'en demandiez parfois -; et vous? quelques ‘douleurs’? je me trompe de mot: quelques tourmentes?

Dites-moi ce que vous faites, ce que vous avez fait, en grands traits. L'examen, le reste. Tout m'intéresse; écrivez-moi longuement. Ou faites mieux, si vous êtes libre, si votre examen appartient tout à fait au passé, venez passer vos vacances chez nous. Mes parents vous invitent; j'y joins mes prières. Nous sortirons beaucoup ensemble, nous causerons, nous nous entendrons admirablement - malgré nous, s'il le faut. Non, sérieusement: quand viendrez-vous passer vos vacances chez nous? j'aimerais beaucoup y compter (soit dit sans nuance mondaine). Au moins: ayez l'envie!

Je ne suis pas allé en voyage pour différentes raisons. Je suis un peu obligé à rester ici cet hiver. Pourtant je me ressens déjà du froid, je tousse, j'ai dû garder la chambre, je ne sors que quand il fait tout à fait beau (c.à.d. les jours que se produit un miracle), etc. - Mais j'ai changé d'adresse, j'ai un ‘chez moi’; aussi pour garder une certaine ‘fraîcheur’ vis-à-vis de mes parents - (je suis devenu un peu comme leur suprême arbitre.) La maladie, ou disons maintenant: la monomanie de mon père nous a placés dans une situation vraîment assez ridicule. Et mes ‘expériences’ - faites et à faire; et à refaire; car je suis stupide, Julia-dear, ne dites jamais plus le contraire; j'ai besoin de re-mâcher certaines choses, même si elles laissent un goût assez sale. On ne se fait pas.

Je parle en énigmes? moyen (d'auteur) d'intéresser. Ecoutez, si je vous intéresse vraîment, télégraphiez-moi votre arrivée. J'ai beaucoup à vous dire, ma grande amie chérie; chérie que vous le voulez ou non. Sinon, parlez-moi beaucoup de vous; je m'intéresserai, moi. Je me suis toujours intéressé, je vous l'ai dit, je me souviens, un soir, d'Anvers: que je préférais de loin les lettres où vous osez être vous-même à celles où vous semblez trop discrète. Parlez-moi de vous pour me consoler. J'ai besoin d'un peu de consolation, Eucharys, ne me boudez point.

Mon adresse: 68, rue Ruysbroeck - ou ici, chez mes parents, si vous préférez.

Puis-je vous embrasser? J'ose?

Votre E.

Origineel: Den Haag, Letterkundig Museum

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